PSYCHOTHÈQUE I L’amnésie dissociative, Olivier DODIER, webinaire du CN2R, novembre 2022

PSYCHOTHÈQUE I L'amnésie dissociative, Olivier DODIER, webinaire du CN2R, novembre 2022

Qu’est-ce que l’amnésie dissociative ?

« Incapacité de se rappeler des informations autobiographiques importantes, habituellement traumatiques ou stressantes, qui ne peut pas être un oubli banal. »
(American Psychiatrique Association , 2013. P.387)
 Toujours potentiellement réversible parce que le souvenir a été enregistré.

Trois formes :
1) L’amnésie localisée = La plus fréquente : L’incapacité de se souvenir d’élément dans une période qui est circonscrite et que l’on peut potentiellement identifier.
2) L’amnésie sélective : Amnésie de certains éléments de l’évènement ou de certains épisodes.
3) L’amnésie généralisée = la plus extrême et la plus rare : Perte complète de la mémoire, de sa propre histoire. Les personnes n’ont plus d’information sur leur identité.

Éléments clés : L’incapacité de se souvenir et réversibilité potentielle.

-  Il existe des études rétrospectives montrant des proportions variables (de 6 à 77% avec des grosses variations d’âge et de profils cliniques. C’est très variable.) de personnes déclarant avoir vécu des périodes sans souvenir des faits traumatiques. (Briere & Conte, 1993 ; Hunter & Andrews, 2022 ; Roe & Schwartz, 1996 ; Wiliams, 1994,1995).

-  Question du refoulement : Le paradigme Think / No-Think (Aderson & Green, 2001) (= passation d’une batterie composée de pair de mots associés. Le but était d’apprendre ces associations. Une fois les associations retenues, un groupe test se faisait lire le premier mot de la paire. La consigne était de ne pas penser au second mot. En 3ème étape : les praticiens redonnaient le premier mot et les sujets devaient se rappeler du deuxième associé. Les résultats montrent que dans le groupe ou on a demandé aux sujets de ne pas penser au second mot dans la deuxième phase du test, il y avait un plus grand pourcentage d’oubli du second mot dans la phase trois.)
 Ce paradigme a permis d’exprimer l’hypothèse que le refoulement est peut-être une volonté tel de ne pas penser à un évènement (traumatique) qui fait qu’avec le temps les gens vont refouler les informations.
L’expérience a été répliquée avec des items relatifs au trauma (DePrince & Freyd, 2001, 2004).

-  Beaucoup d’études révèlent des corrélations entre le passé traumatique et les symptômes dissociatifs mesurés via la Dissociative Experience Scale (Dalenberg et al, 2012), qui comprend certains items de déficit mnésique.

-  Il existe également des travaux basés sur l’imagerie cérébrale (Stanilou & Markowitsch, 2012), qui montre des modifications structurelles ou cérébrales chez les personnes ayant des amnésies.

-  Beaucoup d’observations cliniques et d’étude de cas présentés (Mangiulli et al., 2022).

Cependant il existe un point de vue critique applicable à chacun des points ci-dessus :

La critique de l’amnésie dissociative :

-  La question n’est pas celle de l’amnésie dissociative, la question c’est « Est-ce qu’entre l’évènement vécu et notre entretien il y a une période ou vous n’aviez pas souvenir des faits ? » Le fait que les gens répondent « oui » n’indique pas le mécanisme derrière cet oubli. Ici, c’est une interprétation des équipes des recherches, et non une preuve.

-  Le paradigme T/NT n’opérationnalise pas l’amnésie dissociative (Dodier, 2021 ; Otgar et al,. 2019). Car l’amnésie dissociative ne résulte pas d’une demande (« efforcez-vous de ne pas penser au mot associé à celui que je vais vous dire »), ici c’est automatique, la personne ne se souvient pas sans avoir besoin de faire un quelconque effort.

-  Des corrélations, il y en a, elles restent cependant faibles à modérées entre un passé traumatique et une dissociation (Patihis & Lynn, 2017). De plus, la DES ne mesure pas l’amnésie dissociative telle que décrite dans le DSM. Elle fait plutôt référence à certains problèmes mnésiques consécutifs à certains phénomènes dissociatifs comme l’absorption (le fait d’être absorbé dans un livre ou un film et d’oublier les éléments environnants, et donc de ne pas en retenir leurs détails, par exemple) ou comme la déréalisation ou la dépersonnalisation, qui relèvent plutôt de biais attentionnels.

-  L’imagerie cérébrale est peu informative : les aires cérébrales impliquées sont trop hétérogènes et présentes des problèmes méthodologiques qui se basent sur des études de cas de faibles qualités.

-  Les études de cas sont de faible qualité car sur 128, seulement 2 remplissent tous les critères diagnostiques du DSM sur l’amnésie dissociative. Dans quasiment aucun des cas, il n’y avait pas de diagnostic différentiel ou d’exploration / d’hypothèse alternative.

-  Il existe des limites conceptuelles sur la réfutabilité de l’amnésie dissociative et sa validité (Dodier, 2021 ; Otgaar, 2019). Si le souvenir revient à un moment donné, c’est qu’il y a une capacité sur le plan cognitif. Si le souvenir ne revient pas, on ne pense pas à l’amnésie dissociative. Finalement ce qui prouve que c’est une amnésie dissociative prouve que ce n’est PAS une amnésie dissociative. Logiquement. Ce qui a été mis en avant par l’équipe de Otgaar, c’est que le refoulement traumatique a été abandonné dans la littérature scientifique dans les années 90 à cause des controverses. Il y avait un problème de validité scientifique. Cependant, quand on reprend la définition de l’amnésie dissociative telle qu’elle apparaît dans le DSM et quand on reprend la définition du refoulement traumatique de l’époque, on se rend compte que les deux termes définissent la même chose. Malheureusement, si on abandonne un terme parce qu’il souffre de validité scientifique, ce n’est pas en le changeant de nom qu’il trouvera sa place dans cette même validité scientifique.

 Dans ce cas, comment expliquer ces souvenirs retrouvés ?

L’amnésie dissociative VS les faux souvenirs : le débat est-il pertinent ?

Les faux souvenirs : L’affaire Benoit Yang Ting = l’induction de faux souvenirs traumatiques chez deux patients.
Psychologue clinicien condamné en 2012 pour abus de faiblesse car il a induit de faux souvenir chez ces deux patients (qui ont porté plainte). On sait que ce sont de faux souvenirs car c’était des souvenirs intra-utérins, ce qui est scientifiquement hors des probabilités. Pour en arriver là, le thérapeute avait une véritable emprise morale et psychologique sur ces deux patients. Il les coupait du monde, leur estoquait de l’argent et son parti prit était « on VA retrouver des souvenirs traumatiques qui expliquerons vos maux ». Les patients venaient pour dépression / anxiété / problème de couple. Le trauma infantile était toujours l’hypothèse principale et impliquait des pratiques avec des pratiques physiques proches de la torture.

Ici, le problème est que l’hypothèse de l’amnésie dissociative présente le risque de suggestion chez des personnes en souffrance (Loftus, 1993 ; Otgaar et al.,2019). Il peut être la cause de développement de faux souvenir traumatiques qui entrainent un réel trauma derrière (Il y a eu des cas aux Etats-Unis de personne ayant développé un traumatisme lié a de faux souvenirs de maltraitance par des aliens, par exemple). C’est un enjeu sanitaire, social et judiciaire par sa popularité sociétale.

Quel est le risque réel ? Dois-je partir sur l’hypothèse du souvenir traumatique en première instance ?
-  Les conditions nécessaires au développement de faux souvenirs traumatiques d’évènements entiers sont très précises et complexes.
-  Ce phénomène est principalement relié au cadre (pseudo)thérapeutique et à la dérive sectaire.
-  Les souvenirs traumatiques retrouvés en thérapie représentent 10% des souvenirs retrouvés, ce n’est donc pas l’élément le plus répendu. (Dodier & Patihis, 2021).
 C’est un phénomène réel à prendre en compte mais relativement marginal.

Les souvenirs retrouvés spontanément :

Un élément, d’un coup d’un seul, va réveiller un souvenir, et souvent de façon assez violente. C’est un souvenir autobiographique épisodique avec son lot sensoriel et émotionnel.
-  Dans 52% des cas, les personnes retrouvent les souvenirs seuls (Dodier & Patihis, 2021).
-  Les souvenirs autobiographiques involontaires sont probablement la forme la plus valide de souvenirs (Dodier et al., en préparation).
-  Il n’existe pas, selon Olivier Dodier, de justification scientifique au doute de la majorité des souvenirs traumatiques retrouvés. De toute façon, le praticien est là pour accueillir le récit du patient, pas pour le mettre en cause.
 Le débat amnésie dissociative VS faux souvenirs peut se faire au cas par cas, mais pas de façon systématique et systémique. Dans ce cas, si l’existence de l’amnésie dissociative est discutable et le débat du faux souvenir peu pertinent, que pouvons-nous proposer ?

Oubli subjectif de souvenirs traumatiques : explications alternatives :

Pourquoi s’intéresser aux explications alternatives ?
Ici Olivier Dodier propose une approche Cognitive et Psychosociale de la question puisque :
-  Il existe une absence de consensus scientifique sur le diagnostic d’amnésie dissociative et malgré sa présence dans le DSM, les chercheurs ne sont pas d’accord.
-  Il existe le principe de parcimonie : Lorsqu’on est face à un phénomène et qu’on cherche une explication, en général c’est l’explication la plus simple qui prédomine dans la pose d’hypothèses.
-  Il existe trois catégories d’explication alternatives : les facteurs cognitifs, motivationnels et neurologiques.

1) Les facteurs cognitifs :

 Réévaluation des souvenirs comme étant des violences =
Le jeune âge des victimes ne permettrait pas de comprendre la nature traumatique de l’évènement qui sera réinterprété comme tel avec la maturité nécessaire. C’est le cas de 31% des témoignages de souvenirs retrouvés (Dodier & Patihis, 2021). Au moment de l’évènement il n’y a donc pas de trauma, le souvenir est traité de manière ordinaire, on n’y repense pas forcément, on grandit, et des années plus tard on revient sur des lieux, on entend parler de la personne etc, on retrouve le souvenir et on comprend ce qu’il s’est passé parce qu’on a la maturité cognitive (notamment dans le cas de violence sexuelles dans l’enfance). C’est lorsque le souvenir revient et qu’il est associé à un viol ou à un élément traumatique qui se développe le traumatisme à un âge plus avancé chez l’individu).

 Le “forgot-it-all-along effect” =
Oublie d’une première remémoration d’un souvenir, donnant la sensation que l’on s’en souvient pour la première fois (Janssen et al.2022).

 Amnésie infantile =
Impossibilité de se souvenir des évènements survenus généralement avant l’âge de 2-3 ans (Howe, sous presse). Dans les souvenir autobiographique il y a une grande importance du concept et de la représentation de soi qui intervient assez tardivement dans le développement. Il y a aussi une grande dépendance aux souvenirs épisodiques (c’est-à-dire aux souvenirs relatifs aux évènements qu’on peut placer dans le temps et dans l’espace) au langage. Certains considère que les souvenir sont effacés, d’autres qu’ils ne se sont jamais créés, dans tous les cas on ne peut pas le retrouvés. Ce qui peut expliquer que des personnes qui ont vécu des évènements très jeune ne s’en souviennent pas et ont l’impression de s’en rappeler tout simplement parce qu’on leur a raconté et qu’ils se sont créés des imagées mentales de l’évènement.

 Défaut d’encodage =
Effet du stress sur la mémoire. Ici il s’agit d’une mauvaise focalisation attentionnelle à l’encodage (Deffenbacher et al. 2004). C’est le cas de l’effet d’arme (littérature psycho-judiciaire : lorsqu’on est témoin ou victime d’un évènement criminel où l’agresseur porte une arme (blanche ou a feu), les victimes ont souvent de la difficulté a se souvenir du visage ou a identifié l’agresseur car leur attention est focalisé sur un autre détail, notamment sur l’évaluation du danger ou sur les possibilité de fuites. Ici le visage de l’agresseur n’est pas pertinent à la survie. Il n’y a donc pas d’amnésie mais juste un souvenir qui n’a pas été créé)

2) Les facteurs motivationnels :

 Ne pas parler de l’évènement traumatique = révélé tardivement des faits peut venir d’une volonté de ne pas parler de l’évènements vécus (Leach et al, 2017).

 Éviter d’y penser =
Un des critères du trouble stress post-traumatique est l’évitement des pensées, des souvenirs et sentiments concernant l’évènements traumatique (APA,2013).

 Amnésie feinte =
Principalement liée aux auteurs de faits déclarant ne pas s’en souvenir. On pourrait associer ça a du mensonge cependant il s’agit plutôt d’une stratégie d’évitement. C’est-à-dire que les auteurs peuvent acceptés le fait d’être coupable. Les faits ne sont pas niés. (Bass & Gill, 2020 ; Jelicic, 2018)  Il y a des outils d’évaluation très développé aux pays bas sur ce sujet.

3) Les facteurs neurologiques :

 Les traumatismes crâniens =
Des travaux ont montré un lien entre le traumatisme crânien et les difficultés à rappeler verbalement des faits, surtout anciens. (Vakil et al,2019).

 L’alcool et les drogues =
Interférence de l’alcool et de certaines drogues sur la copie des informations de court à long terme (Kloft et al.,2021).

Conclusion :

Que faire en pratique ?

En pratique clinique et psychothérapeutique :
-  Mobiliser les explications alternatives, et si ce n’est pas pertinent, proposer une « amnésie d’étiologie inconnue » (Mangiuilli et al., 2022).
-  La question des faux souvenirs n’est que peu pertinente, ce qui compte est la réalité du patient.

En pratique judiciaire :
-  Même recommandation que pour la pratique clinique
-  Question des faux souvenirs pertinente au cas par cas, s’interroger sur le contexte de recouvrement.

 Dans tous les cas, ne pas suggérer l’éventualité de souvenirs d’évènements traumatiques refoulés/dissociés en l’absence de souvenir.

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