Incendie de Lubrizol. Suivi sanitaire, prévention des risques : l’État pointé du doigt par le Sénat

Suivi sanitaire problématique, moyens insuffisants, la commission d’enquête du Sénat sur le spectaculaire incendie de Lubrizol dénonce des angles morts inacceptables dans la prévention des risques industriels en France et épingle au passage le gouvernement et en particulier l’ex-ministre de la Santé Agnès Buzyn, dans un rapport publié ce jeudi 4 juin.

À l’instar du suivi sanitaire proprement dit, l’identification du risque sanitaire telle que pratiquée par le ministère de la Santé, a été à la fois tardive et incomplète, écrivent les rapporteurs Christine Bonfanti-Dossat (LR) et Nicole Bonnefoy (PS) dans leurs conclusions sur cet accident industriel majeur, sans victime apparente, qui a fait l’objet de 200 000 tweets en 24 heures.

L’incendie, survenu le 26 septembre 2019 sur le site Seveso seuil haut, à Rouen, avait provoqué un immense nuage de fumée noire de 22 km de long avec des retombées de suie jusque dans les Hauts-de-France. Près de 9 505 tonnes de produits chimiques avaient brûlé dans cette usine de lubrifiants automobiles et sur le site voisin de Normandie Logistique.

Pour la commission présidée par le centriste Hervé Maurey, la méthodologie adoptée par le ministère de la Santé pour le suivi sanitaire est problématique.

Comme le résume Mme Émilie Counil, chargé de recherche à l’Institut national d’études démographiques (INED), « Santé publique France, l’ARS et Mme Buzyn défendent le point de vue selon lequel il faudrait savoir ce que l’on cherche pour chercher », écrivent les sénatrices.

Sur le plan de la politique de santé, le manque de volonté est manifeste […] Si on attend des certitudes spécifiques pour lancer des enquêtes de santé, on n’avancera pas, a commenté Christine Bonfanti-Dossat lors d’une audioconférence de presse, la pollution est avérée et on hésite encore à assurer un véritable suivi.

Résultat l’enquête de santé commencera à peine en septembre un an après l’incendie, a ajouté la sénatrice, admettant que la crise sanitaire due au Covid-19 a aussi retardé le processus.

Il y a des questionnements sur la nature des produits et sur les interférences de ces produits entre eux qui peuvent générer des problématiques importantes en matière de santé. D’où l’intérêt d’un suivi sanitaire à moyen et long terme renforcé, a renchéri Nicole Bonnefoy.

Le président centriste de la commission Hervé Maurey est lui aussi interpellé quant au sérieux et à la rigueur de tout cela : Santé publique France a admis il y a encore quelques jours seulement avoir perdu des échantillons [de prélèvements de sol]. D’autres sont inexploitables. Un grand nombre d’échantillons sont concernés, selon Christine Bonfanti-Dossat.

Les sénatrices dénoncent en outre la décision du ministre de l’Agriculture prise dans l’urgence le 11 octobre de lever l’interdiction de vente du lait produit dans plus de 200 communes. Cette décision prise trois jours avant la publication du premier avis de l’Anses (autorités sanitaires N.D.L.R.), paraît prématurée : elle n’a pas pu tenir compte des fortes réserves émises […] confirmées dans les avis subséquents, selon le rapport.

Le gouvernement a ensuite fait fi du caractère incomplet de l’analyse des prélèvements d’air.

La ministre de la Transition écologique et solidaire n’est pas en reste. Son objectif affiché à la suite de la catastrophe d’augmentation de 50 % des contrôles d’ici 2022 à effectifs constants est peu réaliste, selon le rapport. Car depuis quinze ans […] le nombre de contrôles des sites industriels classés a pratiquement été divisé par deux. Pour les sénatrices, il faut renforcer les moyens humains et financiers consacrés à la prévention.

Le gouvernement n’est ainsi pas le seul épinglé dans ce rapport. La politique de prévention des risques industriels déployée depuis 40 ans en France laisse apparaître des angles morts importants et inacceptables, écrivent les rapporteurs.

Les crédits budgétaires alloués par l’État à la prévention des risques technologiques diminuent tendanciellement depuis plusieurs années, ajoutent les sénatrices.

Les élues de la Haute Assemblée pointent en outre le nombre réduit de sanctions prononcées, leur faiblesse et le taux de classement sans suite plus élevé pour les infractions environnementales que pour la moyenne. Cela est perçu par certains observateurs comme le signe d’une forme d’indulgence des pouvoirs publics vis-à-vis des industries, poursuivent-elles.

Par ailleurs, il est urgent de revoir la doctrine de communication de crise de l’État. Vouloir rassurer à tout prix fait perdre de vue l’objectif principal : informer le plus clairement possible et en temps réel.

Publié par Stéphane Geufroi, par Ouest France, le 4 juin 2020.

https://www.ouest-france.fr/societe/lubrizol/incendie-de-lubrizol-suivi-sanitaire-prevention-des-risques-l-etat-pointe-du-doigt-par-le-senat-6857723

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