PROCES 13 NOVEMBRE : "JE NE VEUX PAS Y METTRE UN PIED" : CES RESCAPES DU 13 NOVEMBRE QUI N’IRONT PAS AU PROCES

Par Esther Paolini et Ambre Lepoivre
Le 03/09/2021 à 7:00

Une cour d’assises spéciale flambant neuve, 14 salles de retransmission, une webradio…. Depuis des mois, la justice se prépare à les accueillir. Tout a été prévu pour que les rescapés et proches des victimes des attentats du 13-Novembre participent dans les meilleures conditions au procès fleuve qui démarre ce mercredi 8 septembre. Pas moins de cinq semaines sont d’ores et déjà réservées à l’audition des quelque 1800 parties civiles constituées, signe de l’importance que l’institution a tenu à leur accorder.

"C’est avant tout leur procès", ne cesse-t-on de répéter. Pourtant, certains ont choisi de tourner le dos à cette audience qualifiée d’"historique". Pour se protéger du traumatisme qui les hante encore ou bien parce qu’ils n’attendent rien des débats, ils ne franchiront pas la porte du palais de justice de l’Ile de la Cité ces neuf prochains mois.

Montagnes russes d’émotions

Quand les terroristes ont pénétré dans la salle du Bataclan ce soir-là, Simon* était avec des proches dans la fosse, aux premiers rangs. Il a échappé de peu aux balles du commando terroriste en trouvant refuge dans une loge à l’arrière de la scène. Le trentenaire a encore en tête le bruit assourdissant des tirs, les longs moments de silence, puis la voix du policier lui intimant l’ordre de sortir. Aujourd’hui, Simon n’envisage pas une seconde d’assister au procès : "Je ne veux pas y mettre un pied", répond-il, catégorique.

Presque six ans se sont écoulés depuis, presque six ans durant lesquels Simon s’est relevé petit à petit. Pour certains, cette échéance est primordiale pour réussir à refermer le chapitre le plus douloureux de leur vie. Chacun gère son traumatisme à sa façon. Pour d’autres, la résilience ne passe pas par le prétoire :

"J’ai vécu trop de montagnes russes au niveau des émotions. Je suis dans un processus de reconstruction, assister au procès ne me ferait que du mal. Tout ce que j’ai cherché dans le passé ne m’a jamais rien apporté de bon", tranche le rescapé.

Moins catégorique, Louis** partage cette réserve sur les effets bénéfiques du procès pour se reconstruire, autant de temps après les attentats. Lui aussi était dans la fosse pour assister au concert des Eagles of Death Metal le soir du 13 novembre 2015. Il a passé 1h30 dans la salle avant de pouvoir miraculeusement s’en extirper.

Quelque 800 victimes pas encore parties civiles

À quelques jours de l’ouverture du procès, il confie ses doutes à BFMTV.com : "Je n’ai pas prévu d’y aller, mais ce n‘est pas un non définitif." Le rescapé ne souhaite pas se replonger dans cette douloureuse période et s’inquiète de "mettre un doigt dans l’engrenage", même en assistant seulement à quelques audiences. "C’est difficile de le faire à moitié", estime-t-il.

Combien de victimes font face aux mêmes interrogations ? Contactée par nos soins, la Fédération nationale des vctimes d’attentats et d’accidents collectifs (Fenvac) indique que près de 800 victimes ne se sont pas encore portées parties civiles et hésitent à le faire. Il y a la peur de revivre ces moments terribles, mais aussi celle d’être confronté aux photographies prises des différents lieux des attentats :

"Les images ont été soigneusement choisies par les juges, mais certaines sont nécessaires pour démontrer l’horreur du sujet, la nature de la violence", explique la présidente de la Fenvac, Marie-Claude Desjeux.

D’autres refusent de croiser les familles des terroristes et s’interdisent de témoigner pour ne pas ajouter de la souffrance aux proches des victimes :

"En allant à la barre, elles culpabilisent de faire involontairement du mal aux familles, en dévoilant un nouveau détail de la mort de leur proche qui leur était jusque-là inconnu", poursuit la présidente de la Fenvac.

Une enquête "incomplète" source "d’amertume"

Comme le procès des attentats de janvier 2015, qui s’est achevé en emportant avec lui de nombreuses zones d’ombre, Simon et Louis estiment que celui du 13-Novembre n’apportera "aucune réponse" aux questions qu’ils se posent. S’ils refusent de présenter les 20 accusés comme des seconds couteaux, chacun pointe les errements de l’enquête et n’espère aucun "témoignage éclairant." Même la présence de Salah Abdeslam - seul survivant des commandos - semble, pour eux, illusoire car il est resté très silencieux pendant l’instruction :

"Lors de son arrestation, il a eu l’occasion d’échanger avec Medhi Nemmouche dans la prison belge. Après, il s’est refermé. J’ai de l’amertume car on aurait pu obtenir des informations", déplore le premier.

"L’enquête est incomplète, il n’y a que des hypothèses sur les commanditaires", souffle le second.

Au-delà des accusés dans le box, qui gardent selon Louis "un pouvoir de nuisance", les deux rescapés tiennent à garder de la distance face à la machine médiatique qui va s’engager le 8 septembre. La cohue des médias d’une part, et de l’autre, la volonté de certains acteurs d’en profiter :

"Pour des avocats du côté des victimes, c’est l’affaire de leur vie. Ils vont tout faire pour avoir leur moment de célébrité", anticipe Louis.

Le drame, un "business"

Des pénalistes ont récemment été épinglés pour avoir tenté de démarcher des victimes, une pratique en principe prohibée par la profession. "Derrière le drame, il y a des gens qui en font un business", soupire Simon, victime de ce type de démarchage et qui hésite encore à se porter partie civile. Outre les avocats, la présence de personnalités politiques - Manuel Valls ou Bernard Cazeneuve pourraient venir témoigner à la barre-, mais aussi de "chercheurs et éditorialistes" crispent Louis :

"Les explications doivent venir des accusés, pas des gens qui ne font que vendre des livres.
"

L’interférence de l’élection présidentielle, qui doit avoir lieu à la même période que le verdict, tout comme celle de la crise sanitaire, sont autant de sources de préoccupations, pour ces deux hommes qui ont désormais "d’autres priorités personnelles".

À la suite des attentats, Louis avait tenu à reprendre le travail très rapidement. "Ce n’était peut-être pas une très bonne idée", convient-il. Depuis, il poursuit la même profession, toujours à Paris, mais en indépendant, pour plus de tranquillité. Désormais, le trentenaire souhaite se projeter dans autre chose de plus "positif." Simon est resté salarié de la même entreprise. Il a de nouveau assisté à des concerts et repris sa vie d’avant "à 95%" : "Des gens se battent en tant que victimes pour ne plus l’être, c’est mon cas."

* Le prénom de ce témoin, employé de BFMTV, a été modifié.

** Le prénom a été modifié.
Par Esther Paolini et Ambre Lepoivre

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