PROCES 13 NOVEMBRE : QUELS SONT CES TROUBLES DONT SOUFFRENT LA PLUPART DES VICTIMES DES ATTENTATS ?

Par Pierrick BAUDAIS
Publié le 29 octobre 2021
Source : Ouest France

Les troubles du stress post-traumatiques (TSPT), pour la grande majorité des victimes des attentats du 13 novembre 2015, sont devenus une réalité. Et une expression de leur langage quotidien. Un peu à la manière du mot résilience qui a quitté le langage des experts pour être tombé dans le langage courant. Mais que recouvrent ces troubles post-traumatiques ? Ce vendredi, devant la cour d’assises, le professeur de psychiatrie, Thierry Baubet (hôpital Avicenne), et la psychiatre Catherine Wong sont venus détailler leurs conséquences.

Quels événements provoquent ces troubles ?

Les TSPT sont consécutifs à une réaction d’effroi, "quelque chose qui va au-delà de la peur"​, précise le psychiatre Thierry Baubet. Un événement qui engendre un risque de mort, à la suite de blessures très graves, de violences sexuelles principalement. "Tout événement ne peut faire traumatisme." ​Mais les attentats du 13 novembre 2015, avec leurs explosions, tirs aux fusils d’assaut et leurs nombreuses victimes (131 morts et plus de 400 blessés) ont évidemment engendré des TSPT. "Beaucoup de patients disent : j’ai perdu ma naïveté. Ils ne voient plus les choses comme ils les voyaient auparavant. Eux, ils ont vu. Maintenant, ils savent. C’est comme s’il y avait devant nous un rideau qui protégeait du néant et ce rideau s’est déchiré. Mais on peut construire une autre manière de voir les choses"​, précise le Pr Baubet.

"C’est la solastalgie, c’est-à-dire le sentiment que la vie ne sera plus jamais la même"​, confirme le Dr Catherine Wong.

Qui peut être touché par ces troubles ?

Les victimes directes de ces attentats évidemment. Mais pas seulement. Les témoins également. Une personne qui était à son balcon et qui a assisté à des choses horribles peut développer des troubles post-traumatiques, même si juridiquement elle ne pourra probablement pas se constituer partie civile. Mais aussi les primo-intervenants de ces attentats : pompiers, soignants, policiers… Et bien sûr, les proches des victimes directes des attaques. "Le traumatisme peut toucher l’ensemble de la famille. Or, on néglige trop souvent les effets qu’ont ces traumatismes sur le groupe familial"​, poursuit Thierry Baubet. Et le psychiatre de préciser : "Le jeune âge ne protège pas du traumatisme. Il se manifeste de manière différente, c’est tout."

Quelles sont les conséquences de ces troubles ?

Les victimes des attentats ont décrit, une à une, les différents symptômes : troubles du sommeil, une hypervigilance, des difficultés de concentration, une irritabilité permanente, des dépressions… Qui peuvent être accentués par la dissociation traumatique : "Pendant quelques minutes, quelques heures, il y a une désintégration des fonctions psychiques"​, telle que la mémoire. Plusieurs victimes ont ainsi raconté avoir "un trou" ​dans la chronologie des événements ce soir-là.

"Il y a aussi chez elles, un sentiment d’abandon : l’idée que personne ne pourra comprendre ou partager ce qu’elles ont vécu"​, complète le psychiatre. D’où l’importance, pour elles, d’intégrer les associations de victimes qui se sont constituées : Life for Paris et 13Onze15. Sans oublier un sentiment de culpabilité : "S’il suffisait de dire aux gens qu’ils n’ont pas besoin de culpabiliser…, soupire le psychiatre. ​Mieux vaut leur dire qu’ils ne sont en rien responsables. Mais ce sentiment peut être pris en charge dans le cadre d’une thérapie."

Enfin, de manière plus profonde, ce traumatisme engendre des questions existentielles. "Ces victimes s’interrogent sur le fait qu’un être humain, leur alter ego, est capable de provoquer de telles horreurs. Comment en est-il capable ? En suis-je capable moi aussi ?"​, résume Thierry Baubet. "Le survivant se vit inconsciemment comme un traître vis-à-vis des personnes décédées"​, complète le Dr Wong. Et de poursuivre : "Cette quête de sens n’est pas un choix. Elle s’impose aux personnes traumatisées."

Pour un jeune enfant – et ils sont nombreux à avoir perdu un parent ce soir-là – les TSPT peuvent perturber ses acquisitions : ses capacités à réguler ses émotions, à développer ses capacités cognitives…

Beaucoup de victimes sont-elles suivies ?

Un an après les attentats, "la moitié d’entre elles n’étaient pas en soins"​, révèle le psychiatre. Marie-Claude Desjeux, la présidente de la Fenvac (une association d’aide aux victimes) a ainsi confirmé qu’avant le procès, "sept victimes nous ont contactés pour la première fois. Elles étaient donc restées seules durant près de six ans et se trouvaient dans une situation grave"​.

Les raisons de cette absence de suivi psychologique sont diverses. "Il peut y avoir eu une mauvaise expérience avec un psychologue. Et ça, c’est terrible car ces personnes n’iront plus voir de psy avant dix ans"​, convient Thierry Baubet. À la barre, il y a quelques semaines, une victime du Bataclan se souvenait encore de ce psychiatre qui s’était endormi alors qu’elle lui racontait qu’elle s’était protégée, dans la fosse du Bataclan, en s’abritant avec le corps d’un autre spectateur…

Mais les raisons peuvent être un sentiment de honte, une forme de déni, la crainte de ne pas être compris…

Autre difficulté, les cellules d’urgence médico-psychologiques interviennent jusqu’à un mois après l’événement. Ensuite, c’est aux victimes d’entreprendre une démarche de soutien. "Les attentats de 2015 et 2016 ont constitué un tournant. De plus en plus de professionnels sont désormais formés à ces traumatismes, plus seulement les médecins militaires. Des centres régionaux du trouble traumatique ont également été créés. Ils manquent parfois de moyens, mais c’est un début"​, convient le Pr Baubet.

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