Rue d’Aubagne : pas de rapport d’experts avant les municipales

Les conclusions sur les causes de l’effondrement, dont la portée pourrait être politique, seront rendues fin mars.

Le rapport des deux experts judiciaires parisiens devait être rendu le 1er octobre. Mais ce sera finalement le 31 mars. Soit une semaine après le deuxième tour des municipales. Une décision prise « en autonomie » par les trois juges d’instruction et les experts qui travaillent sur les effondrements des immeubles le 5 novembre. Le calendrier judiciaire se veut sans lien avec l’échéance politique.

Mais il aurait pu peser dans l’élection, avec la détermination des causes exactes de ce drame qui a coûté la vie à huit personnes. Deux immeubles se sont écroulés : le 63, rue d’Aubagne (vide de toute occupation), était la propriété de la ville de Marseille, qui l’a à l’évidence laissé à l’abandon. Le 65, mitoyen, privé celui-ci, était habité et avait fait l’objet de nombreux signalements et d’expertises. Lequel des deux bâtiments a entraîné la chute de l’autre ? C’est ce que doit révéler l’expertise.

Depuis un an, les rapports, perquisitions - notamment à la mairie - et auditions s’enchaînent pour déterminer les responsabilités concernant les « homicides et blessures involontaires aggravés par violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité » et pour « mise en danger de la vie d’autrui » selon les termes de l’instruction ouverte par le parquet de Marseille.

« Vrai risque »

A quelques jours de la date anniversaire, le juge Matthieu Grand, qui pilote l’enquête, a réuni une cinquantaine de parties civiles. « L’état d’avancement de l’instruction méritait des clarifications apportées par le juge Matthieu Grand qui s’est montré extrêmement pédagogue », raconte Me Ismaël Toumi, avocat de deux familles qui habitaient le 69, rue d’Aubagne, détruit par mesure de sécurité suite aux effondrements des immeubles voisins.

« Il n’y a pas eu de secrets tonitruants ni de révélations », poursuit l’avocat, mais la rencontre a permis de montrer aux parties civiles que la justice travaillait et de leur faire prendre conscience que la procédure pourrait durer des années.

A ce jour, seuls deux experts ont été placés sous le statut de témoin assisté mais pas pour les mêmes raisons. Reynald Filipputti qui de 2014 à 2017 avait alerté la mairie sur cette partie de la rue d’Aubagne comme un dossier « à traiter en urgence » et mentionné un « vrai risque d’effondrement » n’est évidemment pas mis en cause. Ce statut lui permet d’avoir accès au dossier. En revanche, la situation de Richard Carta est plus délicate : cet architecte, également expert judiciaire, avait ordonné la réintégration du 65, rue d’Aubagne, après un arrêté de péril mi-octobre et l’évacuation de ses habitants le temps d’une après-midi. Pourtant, une vidéo - glaçante - tournée quelques minutes avant les effondrements par l’un des résidents du 65, qui a survécu, montre des fissures et des désordres très inquiétants.

« Dossier sensible »

Pour l’instant, aucune mise en examen n’a été prononcée. « La chambre d’instruction et le juge ne vont pas prendre de risques sur un dossier aussi sensible. Il semble plus judicieux d’attendre le rapport des experts parisiens afin que l’on puisse tous l’analyser », explique Me Brice Grazzini, avocat de trois familles du 65, rue d’Aubagne. Et Me Toumi de rappeler : « Le timing avec les municipales fait que ce n’est pas un dossier comme les autres, c’est emblématique du mandat de trop comme on dit ici. »

Pour la directrice de la Fédération nationale des victimes d’attentats et d’accidents collectifs, Sophia Seco, il est clair que, tout attentif qu’il soit aux parties civiles dont l’association fait partie, « le juge est prudent au regard des enjeux politiques de cette enquête ». Le magistrat ne veut pas faire de cette affaire « le procès de l’habitat insalubre de Marseille en général ». L’instruction devrait donc rester cantonnée aux immeubles effondrés et ne pas déborder du périmètre de sécurité. Ni perturber la campagne électorale. Les parties civiles seront convoquées par les juges fin avril pour débriefer le rapport des experts. D’ici là, Marseille aura un nouveau maire.

Par Stéphanie Aubert et Samantha Rouchard pour Libération, publié le 4 novembre 2019.

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