Terrorisme : La Cour des comptes veut faciliter l’indemnisation des victimes d’attentat

Une enquête publiée ce mercredi par la Cour des comptes, dont « 20 Minutes » a eu connaissance, pointe l’inefficacité de certains dispositifs dans la prise en charge financière des victimes d’attentats...

Pour lutter contre la fraude et le phénomène des « fausses victimes », la Cour des comptes propose de donner au Fonds de garantie des victimes d’actes de terrorisme (FGTI) un accès élargi à certaines informations judiciaires.
Malgré une hausse spectaculaire de la prise en charge financière des victimes d’attentats depuis 2015, l’équilibre financier du Fonds de garantie n’est pas menacé estime le rapport.

Le chiffre témoigne de l’ampleur du choc. Acteur central dans la prise en charge des victimes d’attentats en France, le Fonds de garantie des victimes d’actes de terrorisme (FGTI) a enregistré entre 2015 et 2017, 5.623 demandes d’indemnisation. C’est en deux ans davantage que toutes les demandes cumulées depuis sa création en 1986. Les attaques terroristes du 13 novembre 2015 et celle de Nice ont bouleversé l’ensemble du processus de prise en charge des victimes et de leurs proches. Fin 2017, près de 10.000 personnes, victimes directes de ces attaques, ont sollicité l’aide du Fonds de garantie.

De la reconnaissance du statut de victime au remboursement des soins de santé, leurs parcours a été pour certains entravé par un manque d’information sur les procédures à suivre et par leur complexité. Ce mercredi, et à la demande de la commission des Finances du Sénat, la Cour des comptes publie pour la première fois un état des lieux de la prise en charge financière des victimes de terrorisme. 20 Minutes détaille en exclusivité le contenu de cette enquête.

Un dispositif plus « large » que ceux des voisins européens

Frappée à 27 reprises par des attentats entre mars 2012 et décembre 2018, la France ferait figure de modèle en Europe en matière de prise en charge des victimes de terrorisme, selon la Cour des comptes. « Les dispositifs mis en œuvre pour indemniser les victimes du terrorisme et leur permettre un accès aux soins dans les meilleures conditions fonctionnent de façon efficace. Ils ont su répondre au défi constitué par les attentats de masse de 2015 et 2016 et peuvent être considérés dans leur globalité comme parmi les plus larges au monde », note en préambule la Cour des comptes.

Contrairement à plusieurs pays européens comme l’Espagne, l’indemnisation des victimes en France n’est ni plafonnée, ni indexée sur des « forfaits ». Le FGTI est ainsi chargé d’évaluer - au cas par cas - tous les préjudices subis par les individus touchés et leurs proches puis de leur proposer une indemnisation adaptée.

Si le processus est long - l’état de santé de la victime doit être « consolidé » avant de pouvoir être définitivement expertisé - le Fonds peut verser des provisions dès le premier mois qui suit le dépôt de la demande d’indemnisation.

Au total selon la Cour, le montant versé suite aux attentats de 2015 est estimé à 282 millions d’euros cette année-là, et à 233 millions pour 2016. Si la prise en charge financière dans son ensemble est saluée dans cette enquête, plusieurs points font aussi l’objet de critiques et d’inquiétudes.

Des fraudes difficiles à détecter

Les cas les plus médiatisés ont, chaque fois, suscité une vive émotion. Si elles restent très marginales, les « fausses victimes » ayant été indemnisées par le Fonds de garantie seraient, selon la Cour, « inhérentes à tout dispositif d’indemnisation ». Pourtant, ces fraudes sont en partie liées à la difficulté, pour les pouvoirs publics, d’établir une liste officielle et fiable de « victimes » des attentats.

Un temps établie par le parquet de Paris, la liste unique des victimes (la LUV) est devenue depuis une « liste partagée ». La définition de « victime » variant d’un acteur à un autre, cette solution adoptée en 2017 permettrait d’affiner le nombre de personnes visées, impliquées ou touchées par un attentat.

Pour autant déplore la Cour, « le FGTI s’estime relativement démuni pour enquêter sur des demandes faisant l’objet de suspicions ». S’il n’a pas accès au dossier pénal, il peut demander des informations supplémentaires à l’institution judiciaire. Pour éviter de nouvelles fraudes, le rapport recommande « de prendre les dispositions juridiques permettant au Fonds d’accéder aux données administratives utiles et aux éléments pertinents de la procédure pénale ».

Une disposition appuyée par la déléguée interministérielle à l’aide aux victimes qui a plaidé ce mercredi devant les sénateurs, pour une « modification de l’arrêté » relatif à ce sujet.

Des expertises médicales controversées

Dans le parcours d’indemnisation des victimes, l’expertise médicale est souvent difficile à vivre, parfois douloureuse. Réalisé par les médecins missionnés par le Fonds de garantie (FGTI), cet examen est fondamental pour fixer le montant final de l’indemnisation. Au fil des ans, plusieurs critiques se sont élevées sur le rôle joué par le Fonds - à la fois juge et partie - dans la détermination du montant de ces indemnisations. « L’idée s’est répandue que certains médecins-conseil étaient plus exigeants que d’autres et qu’être accompagné par un avocat modifiait la façon dont les préjudices étaient évalués », note la Cour des comptes.

Certaines victimes ont donc fait le choix de venir accompagnées de leur avocat pendant l’examen. Une présence vivement rejetée par des médecins qui estiment qu’elle va à l’encontre du secret médical.

« Les critiques méritent d’être prises au sérieux car elles entachent la crédibilité du mécanisme de réparation intégrale », alerte la Cour.

Prévue dans l’actuelle réforme de la Justice, la mise en place d’une liste obligatoire de plusieurs « experts spécialisés en matière d’évaluation du préjudice corporel » par le FGTI pour renforcer « l’impartialité de l’expertise » doit être « rapidement mise en place », exhorte le rapport.

Un préjudice exceptionnel coûteux

Si l’équilibre financier du Fonds de garantie n’est pas menacé par l’indemnisation financière des victimes de terrorisme selon la Cour, le remboursement d’un préjudice particulier et destiné à ces victimes devrait disparaître selon ce rapport. Il s’agit du « préjudice exceptionnel spécifique des victimes d’actes de terrorisme » (PESVT). Créé en 1987, ce chef d’indemnisation vise à reconnaître le choc traumatique lié à l’attentat.

Selon certains membres du conseil d’administration du FGTI, ce préjudice exceptionnel a pour « vocation de réparer un symbole et non une atteinte à la personne » et « cette indemnité est là pour reconnaître que les victimes du terrorisme sont victimes d’une forme de guerre ». Contrairement au reste de la prise en charge financière, le PESVT est un montant forfaitaire (30.000 euros) et n’est pas évalué individuellement.

Or, note la Cour, « la création de cette indemnité et ses critères d’attribution ont un impact non marginal sur les dépenses du Fonds. En 2016, 5,2 millions d’euros ont été versés à ce titre aux victimes de terrorisme. En 2017, le versement du PESVT s’élevait à 9,3 millions d’euros, soit plus de la moitié des dépenses du Fonds de garantie. Plus rapide à obtenir, ce montant dissuaderait aussi certaines victimes et leurs proches de faire valoir leur droit et d’engager la procédure - plus longue et plus contraignante - d’indemnisation individuelle.

La Cour des comptes demande donc la suppression de la prise en charge de ce préjudice exceptionnel par le FGTI. Elle propose, « si le principe est jugé opportun », de le financer « par la solidarité nationale » et de l’intégrer au budget de l’Etat. Face aux sénateurs, la déléguée interministérielle à l’aide aux victimes a rappelé la « valeur symbolique » de ce préjudice et a assuré que l’Etat devait se positionner pour maintenir cette indemnisation.

Un système d’information encore brouillé

C’est la critique la plus fréquemment formulée par les victimes d’attentats. Trop de numéros, trop d’interlocuteurs et au final, peu d’information sont mises à disposition des proches et des blessés après les attaques. Au lendemain du 14 juillet 2016, une fiche mise à disposition des victimes de l’attentat de Nice comportait sept numéros d’appel différents (CUMP, SAMU, association Montjoye, 08Victimes93, trois numéros d’appel de la FENVAC dont deux numéros de portable personnels), trois adresses mail et renvoyait vers trois sites Internet différents.

Les récents attentats de masse, de Paris, Saint-Denis et Nice et le travail réalisé par les associations de victimes ont contribué à améliorer cet accès à l’information. Mais certains dispositifs, jugés essentiels par tous les acteurs, n’ont toujours pas été mis en place ou peinent à être identifiés. « Il importe que le numéro téléphonique unique, le système d’information interministériel sur les victimes d’attentats […] et le portail unique d’accès aux droits prévus depuis plusieurs années soient rapidement mis en œuvre », conclut l’enquête de la Cour.

Source : 20 Minutes
Auteur : Hélène Sergent
Date : 30/01/2019

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